Pourquoi le Sgen-CFDT et la FAGE (1er syndicat étudiant) ne participeront pas à la mobilisation du 1er février ?
Dans une tribune publiée par EducPros, le Sgen-CFDT et la Fage expliquent pourquoi ils ne participeront pas à la mobilisation contre la réforme de l’entrée à l’université, organisée jeudi 1er février. Les deux syndicats appellent leurs collègues à demander ensemble l’ouverture d’un débat sur l’existence d’un système de formation post-bac à deux vitesses.
Chers collègues, chers étudiants,
Opposition à toute forme de sélection !
La Fage et le Sgen-CFDT sont opposés depuis leur création à toutes les formes de sélection. Pour autant, nous ne participerons pas à la mobilisation que vous engagez le 1er février contre la réforme de l’accès au premier cycle de l’enseignement supérieur. En effet, nous ne partageons pas votre analyse des conséquences de la réforme en particulier pour les jeunes issus des familles populaires.Vous écrivez que le projet de loi introduira une sélection et interdira l’accès à l’enseignement supérieur aux bacheliers, en particulier celles et ceux issus des bacs techno et des bacs pro.
Mais dans l’état actuel, la sélection est massive en fin de 1ère année !
La réalité est pourtant bien différente, puisque la sélection par manque de place, qui se matérialisait notamment par le tirage au sort, est bien antérieure à la réforme en cours. De plus, nous avons tous en tête ce chiffre : dans les conditions d’accueil actuelles, seuls 1,6 % des bacheliers pro réussissent à obtenir un diplôme de licence en trois ans ! Même si ce chiffre est à nuancer car il ne prend pas en compte les réorientations, il reste extrêmement faible. Il faut aussi regarder le taux d’abandon des bacheliers généraux qui reste, lui aussi, très trop élevé. Pour la Fage et le Sgen-CFDT, comme l’a écrit encore récemment François Dubet, l’autosélection existe massivement à l’université, ainsi que dans les filières sélectives (40 %). La création de places supplémentaires (22.000 pour la rentrée 2018), si elle est indispensable, n’est pas suffisante. Car à elle seule, sans dispositifs d’accompagnement spécifiques, elle ne permet pas de faire réussir toutes les étudiantes et tous les étudiants.
Et un droit à l’accompagnement gratuit va devoir se mettre en place dans les universités
En introduisant un droit à l’accompagnement pour les jeunes les plus éloignés des codes universitaires, majoritairement issus des familles populaires, le projet de loi permettra de donner plus à celles et ceux qui ont moins. C’est l’entrée du principe de l’éducation prioritaire dans l’enseignement supérieur, défendu par la Fage et le Sgen-CFDT. Ainsi, chaque jeune sera en droit d’obtenir un accompagnement gratuit, dont la qualité sera assurée par l’établissement, pour le conduire vers la réussite, quelle que soit son origine sociale, sans avoir à payer de coûteux cours de soutien via des officines privées.
Des quotas qui vont permettre plus de mixité
En introduisant des quotas de bacheliers boursiers dans les filières sélectives (y compris dans les CPGE), le projet de loi permet à des jeunes issus de familles populaires d’accéder à des filières très largement « trustées » par les enfants des familles de cadres. Les chiffres sont impitoyables. Et ils ne sont pas objectivables par les simples résultats scolaires.
En introduisant de la transparence sur les procédures de sélection des dossiers dans les filières sélectives, y compris celles des universités, la réforme garantit un droit à l’information des candidats. Il nous semble de nature à lutter contre les discriminations, notamment celles liées aux stéréotypes, par exemple sur les familles les plus précaires (cf. entre autres les travaux de ATD Quart Monde).
Mais il faut pour cela (beaucoup) de moyens financiers !
Nous avons tous en tête les statistiques sur les origines sociales des étudiants selon les filières de formation. Nous avons aussi tous en tête les travaux scientifiques menés autour de la discrimination dont sont victimes les jeunes issus des familles populaires en matière d’orientation, à compétences égales avec des jeunes de familles de cadres moyens ou supérieurs.Vous réclamez, dans votre appel, et à juste titre, des moyens pour l’enseignement supérieur et la recherche. La Fage et le Sgen-CFDT aussi. Nous avons d’ailleurs, tous ensembles, à de nombreuses reprises dans les années précédentes, organisé des mobilisations, y compris en appelant à la grève, pour exiger des moyens suffisants pour accueillir des étudiants toujours plus nombreux.
La Fage et le Sgen-CFDT continuent et continueront à revendiquer, y compris en appelant à la grève, 1,5 milliard d’euros par an pour l’enseignement supérieur et la recherche. Mais il est ici question de la réforme de l’accès au premier cycle et de son financement. Pendant toute la concertation, la Fage et Sgen-CFDT ont porté l’exigence d’un financement de la réforme. Nous avons obtenu 25 millions pour la période de septembre à décembre 2018, dont 6 millions d’euros pour reconnaître et payer le travail supplémentaire qu’imposera la mise en œuvre de la réforme à nos collègues. C’est la première fois depuis bien longtemps qu’une réforme s’accompagne d’un financement. Nous avons dit que cela n’était pas suffisant. Le Sgen-CFDT et la Fage ont d’ailleurs soumis au vote du CNESER une motion demandant des moyens supplémentaires. Nous regrettons que vous ayez voté contre cette motion, mais nous respectons votre choix.
Enfin, malgré nos divergences d’analyse sur les conséquences du projet de loi Orientation réussite étudiante, il nous semble que nous avons un point de convergence fort : le refus de toutes les formes de sélection. Il nous semble que nous pouvons sur ce sujet agir ensemble en dénonçant l’existence d’un système de formation postbac à deux vitesses : d’un côté, des filières non sélectives, devant accueillir tous les candidats, victimes d’un sous-investissement chronique depuis des décennies, d’un autre côté, des filières sélectives, choisissant leurs étudiants, financées très largement. Nous nous souvenons tous des 60 millions d’euros supplémentaires alloués à Polytechnique en 2016 alors que, dans le même temps, l’ensemble des universités n’obtenaient que 100 millions. Ces filières sélectives, qui existent aussi à l’université, peuvent ainsi proposer aux étudiants des taux d’encadrement et des dispositifs d’accompagnement dont pourraient bien profiter les étudiants inscrits dans les filières non sélectives.
Nous vous proposons donc, chers collègues, puisque nous sommes toutes et tous convaincus par la lutte contre la sélection, de nous retrouver pour élaborer ensemble une tribune et un programme d’actions afin de demander l’ouverture d’un débat sur l’existence d’un système de formation postbac à deux vitesses, très discriminant socialement. Nous vous proposons de construire ensemble une mobilisation permettant de rassembler tous nos collègues sur l’exigence d’un financement des filières non sélectives à la même hauteur que celui des filières sélectives. Car tous les jeunes ont droit à la même considération. Ils ont à nos yeux autant de valeur, quelle que soit leur origine sociale.
Nous vous proposons de nous retrouver dans les locaux de la fédération du Sgen-CFDT ou de la Fage à une date et une heure qui vous conviendrait à toutes et tous. Nous pourrons ainsi initier une réflexion autour de cette mobilisation à construire dans l’intérêt de l’ensemble des étudiants et de tous les personnels de l’ESR.
Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du Sgen-CFDT et Jimmy Losfeld, président de la Fage.
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