Le port du masque obligatoire par tous les enseignants devant élèves a marqué cette rentrée 2020 d'une empreinte bien particulière... Voici le résultat de notre enquête intitulée "port du masque et conditions de travail"
Enquête « port du masque et conditions de travail » réalisée entre le vendredi 2 octobre et le mardi 6 octobre 2020, auprès de l’ensemble du personnel enseignant de l’Académie de Strasbourg (premier et second degrés). 966 répondants, soit environ 5% des enseignants du premier et du second degré de l’Académie de Strasbourg
Pour voir les réponses de la rectrice à notre enquête : Bilan de rentrée, port du masque, dégradation des conditions de travail : le rectorat « comprend » mais n’agit pas…
La presse parle de l’enquête « port du masque et conditions de travail
Les Dernières Nouvelles d’Alsace et le journal l’Alsace ont interrogé plusieurs de nos militant.e.s et publié certains des résultats de l’enquête (voir ici en pdf)
Enquête port du masque et conditions de travail : les principaux enseignements
1. Une dotation suffisante en quantité, mais pas en qualité
« Je me suis acheté une boîte de masques chirurgicaux… »
98% des répondants à notre enquête affirment avoir reçu un ou plusieurs masques à la rentrée, les 2/3 en ayant reçu entre 4 et 6 exemplaires (avec cependant de fortes disparités selon les écoles et les établissements). Cependant, la grande majorité des enseignants vulnérables n’a pas reçu de dotation en masques chirurgicaux, alors que c’est pourtant prévu par la circulaire du 1er septembre. D’autre part, une large majorité des enseignants est déçue par le confort des masques en tissu (parmi les problèmes évoqués par les collègues : les masques sont trop petits, provoquent des douleurs derrière les oreilles, des irritations sur la peau, sont vite humides et trop peu respirants…) : 61% des profs déclarent ainsi que les masques reçus à la rentrée ne leur conviennent pas et, logiquement, une majorité d’enseignants (57%) préfère utiliser des masques achetés sur leurs deniers personnels : « On étouffe avec les masques DIM, c’est pourquoi j’ai choisi les masques jetables pour l’activité professionnelle », ce qui peut coûter cher, à raison d’un masque toutes les 4 heures…
2. Des conditions de travail dégradées
« Tout le monde est épuisé. »
La quasi-totalité des enseignants (95%) estime que les conditions de travail se sont dégradées du fait du port du masque. Les deux tiers d’entre eux évoquent une fatigue supplémentaire (65%), l’impression de manquer d’air (62%) et des problèmes de voix (61%). Près de la moitié (49%) ont des migraines ou des maux de tête, un quart des irritations cutanées.
Nausées, maux de gorge, vision altérée, aération des locaux
Les autres problèmes évoqués par les enseignants sont nombreux et variés : ils vont des nausées aux maux de gorge en passant par la sécheresse buccale, notamment à cause de la difficulté à prendre un moment pour boire lorsque les cours s’enchaînent. Ce qui revient le plus souvent, ce sont les problèmes de vision : pour ceux qui portent des lunettes, le port du masque est très problématique à cause de la buée engendrée par la respiration. Les masques en tissu ne conviennent pas et doivent être remplacés par des masques jetables (notamment ceux qui ont un renforcement au niveau du nez). Enfin, beaucoup de profs s’inquiètent de ne pas pouvoir aérer correctement des salles où se succèdent des effectifs très chargés : « parfois ce n’est tout simplement pas possible et maintenant se pose le problème du froid. » Mais ce qui soucie le plus les profs de l’Académie de Strasbourg, c’est de voir se détériorer ce qui fait le sel de leur métier : la relation avec les élèves. C’est de cela qu’ils parlent avant tout quand on leur demande d’exprimer les problèmes rencontrés depuis la rentrée.
3. Une relation pédagogique très perturbée
« Je ne retiens pas leur prénom car je ne connais pas leur visage. »
Pour 80% des enseignants, la relation pédagogique avec les élèves s’est dégradée, et 73% estiment que la gestion de classe est plus difficile à cause du masque (bavardages, problèmes de discipline…). La moitié des enseignants dit en outre avoir des difficultés à faire porter le masque par les élèves (très souvent ou de temps en temps). De fait, « l’ambiance de cours est dégradée, elle est moins humaine », cela quel que soit le niveau, mais peut-être encore plus dans les classes de maternelle où l’échange avec l’élève, en tant que personne, est très altéré : « La relation aux élèves en maternelle est très compliquée car beaucoup de choses passent par l’expression du visage : les histoires, les sons, la bienveillance… ». C’est le cas aussi avec les classes dites « difficiles », car « il faut à la fois gérer les récalcitrants et le bavardage masqué. ». Les tensions montent plus vite, les désamorcer est plus complexe : « Il y a une énorme perte de compréhension de la part des élèves et, de ce fait, moins d’écoute, ce qui crée des soucis permanents d’attention. En classe à triple niveaux, c’est un calvaire. L’ambiance se rigidifie, je souhaiterais ne porter le masque que lorsque je m’approche des élèves ».
Apprendre une langue avec un masque : mission impossible ?
De l’avis de tous les enseignants, le cours masqué rend vraiment difficile la communication avec les élèves, cela dans toutes les matières mais d’autant plus en maternelle et CP ainsi qu’en cours de langue vivante. C’est un souci particulièrement préoccupant pour les élèves ne maîtrisant pas bien le français à leur entrée à l’école, ainsi que pour les élèves malentendants : « Les élèves à besoins particuliers ne parviennent plus à comprendre le cours : il me faudrait des masques transparents pour les élèves malentendants ! ». Plusieurs professeurs craignent qu’il soit difficile « aux élèves d’acquérir les compétences requises en français, et certainement dans d’autres matières » ; la prononciation des lettres dans les différentes langues est quasi impossible avec un masque opaque…, « les enfants entendent moins bien, se plaignent de ne pas comprendre certaines syllabes… » ; « il est impossible de mener à bien des séances de phonologie au CP ou des dictées de syllabes avec le masque, les élèves n’entendant pas la différence entre le ‘’da’’ et le ‘’ta’’ par exemple ». D’autres activités en pâtissent comme le chant, le récit d’histoires, etc.
De la difficulté de retenir le prénom d’élèves masqués…
Illustration de la difficulté de communication, mémoriser les prénoms est devenu un défi particulièrement compliqué à relever, et cela rend compte, peut-être plus qu’autre chose, de la difficulté de la relation pédagogique à l’heure de la Covid-19 : « Il m’est impossible de mémoriser les noms des élèves car je ne vois pas leurs visages, la relation individuelle est bien plus longue et difficile à se mettre en place… » ; un autre enseignant note qu’ « il y a aussi tout le langage infraverbal : faire de l’humour, regarder un élève de manière appuyée pour lui faire comprendre quelque chose qu’on ne souhaite pas dire, savoir d’un coup d’œil si l’un s’ennuie ou si l’autre est perdu…. c’est la relation à l’élève qui est vraiment perturbée ».
4. Aménagements : ce que souhaitent les enseignants
« Une commande de masques inclusifs sur les fonds de l’établissement est en cours… »
Parmi les aménagements proposés dans l’enquête, 69% professeurs du second degré et 52% de ceux du premier degré souhaiteraient qu’on les autorise à retirer le masque quand ils sont à distance des élèves (comme c’était le cas en juin). Mais dans le premier degré cependant, une large majorité des professeurs des écoles (61%) aimeraient que soit étendue à leurs élèves l’obligation de porter le masque. C’est encore plus important si on ne prend que les enseignants des classes élémentaires et primaires qui sont vraisemblablement inquiets pour leur santé.
Amplificateurs, masques transparents ou chirurgicaux, barrières de plexiglas…
Certains enseignants ont déjà pris les devants et se sont équipés d’amplificateurs de voix avec micro intégré ; mais il y a peu de chances que le rectorat finance un tel dispositif pour tous. Au moins pourrait-on fournir des masques transparents à tous les enseignants qui le souhaitent, notamment les professeurs de langue, mais aussi de CP et de maternelle. L’idée d’une visière (avec distance physique respectée) revient aussi souvent, ainsi que celle, sans doute trop onéreuse, d’une paroi en plexiglas qui permettrait à l’enseignant d’enlever son masque lorsqu’il est à distance des élèves. Beaucoup demandent aussi des masques chirurgicaux, soulignant le coût élevé que cela représente pour un enseignant à temps plein : « c’est un budget considérable à 2 masques par jour x 4,5 jours de présence en classe » ; en tout cas, il faudrait au moins « doter les enseignants de masques qui ne donnent pas l’impression d’avoir été confectionnés avec des chutes de tissu pour slip kangourou et qui permettent de respirer et laisser passer la voix davantage… ».
Quid des effectifs ?!
Tous souhaiteraient enfin que les effectifs des classes soient revus à la baisse, soulignant l’absurdité de lutter contre une épidémie avec des masques, mais dans une classe surchargée… Comme nous l’avons déjà dénoncé dans notre bilan de rentrée, il n’est pas rare d’avoir des classes à 35 en école primaire, et même à 38 en Seconde… A défaut, beaucoup aimeraient, au moins en lycée, qu’on revienne à une alternance entre présentiel et cours à distance, comme au début du mois de juin : « cette crise aurait pu être l’occasion de repenser tout le système et non de repartir comme avant en nous affublant de masques. En lycée, les élèves sont autonomes […], on aurait pu envisager une alternance par demi-classe d’une semaine à l’autre sur le principe de la semaine inversée… ».
Annexe 1 : les répondants classés par type lieu d’enseignement
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Le lien vers l’enquête port du masque et conditions de travail