Les débats parlementaires sur le projet de loi pour une école de la confiance démontrent une fois de plus que l’École est un terrain de jeu idéologique facile. Mais ces jeux ont des conséquences plus que problématiques. Lisez l'édito proposé par notre SG fédérale : Catherine Nave-Bekhti...
Depuis le début des débats à l’Assemblée nationale, je me dis que les semaines qui viennent vont être longues. Cela fait plusieurs années que les débats politiques sur le système éducatif sont un terrain de jeu idéologique majeur. Au détriment de la transformation de l’École, qui devrait viser sa démocratisation et la lutte contre les inégalités, qui devrait être menée avec et par des personnels tous et toutes reconnu·es dans leurs expertises.
Les réalités vécues par les élèves, et par les personnels de l’Éducation nationale et des collectivités territoriales qui font le service public d’éducation, sont bien loin d’une partie des débats actuels.
Une avalanche d’amendements sur une loi fourre-tout
Il ne devait pas y avoir de loi.
Puis, il fallait urgemment une loi pour instaurer l’obligation d’instruction dès trois ans.
C’est l’occasion d’une loi au nom de la signature ministérielle, répétée comme un mantra : « École de la Confiance ». Mantra contredit par la réalité d’un pilotage toujours plus injonctif de l’Éducation nationale.
Une loi élaborée dans la précipitation…
Une loi élaborée dans la précipitation : dialogue social très bref, sans disposer d’une version écrite au moment de la seule concertation avant le vote des organisations syndicales dans les instances ministérielles. Texte fourre-tout sans exposé des motifs unifié.
Des propositions constructives du Sgen-CFDT sont quasiment toutes rejetées : il est parfois amusant de les retrouver presque mot pour mot dans l’avis du conseil d’État (sur l’article 1 et l’article 15 de la loi, par exemple). D’autres devaient pouvoir être intégrées et puis finalement non, sans qu’on sache clairement pourquoi (sur l’article 2).
Quelques-unes sont retenues, tant la formulation initiale contredisait autant le réel que l’objectif poursuivi par la loi… La formation initiale des enseignant·es et des CPE est et restera universitaire. Il faut donc conserver le E de Éducation dans le nom des composantes des universités, qui ne peuvent donc être un institut national… et c’est ainsi que, notamment grâce à l’insistance de la CFDT, on est passé des INSP aux INSPE . . . Tant qu’à faire, on aurait aussi pu conserver le nom d’ESPE et construire sereinement l’amélioration de la formation initiale, et en même temps économiser les coûts que cette immense valse de sigles va générer.
La loi étant un fourre-tout, aucun amendement ne peut sembler hors-sujet.
Nous avons très tôt souligné les défauts de conception d’une loi mal conçue parce que précipitée, simple contenant auquel on a cherché un contenu, parce qu’on n’a pas suffisamment tenu compte des propositions des syndicats.
Résultat : dès le travail en commission, des amendements par centaines, dont une grande partie sont du toilettage législatif. Ce sont ces amendements rédactionnels pour que le code de l’éducation ne soit pas bancal. Manifestement le projet de loi n’avait pas intégré toutes les modifications nécessaires pour porter les décisions gouvernementales.
Résultat : la loi étant fourre-tout, aucun amendement ne peut sembler hors-sujet. Et pour cause, le sujet n’est pas circonscrit. Cela laisse toute la place aux amendements idéologiques, aux postures politiques et parmi elles les plus néfastes à l’École et à ses personnels.
Des amendements anti républicains ou irrespectueux d’une institution républicaine
Devoir constater encore en 2019 que l’éducation à l’égalité entre filles et garçons, entre femmes et hommes, est contestée par la représentation nationale est plus que consternant. Le Sgen et la CFDT n’auront de cesse de rappeler, d’expliquer, pourquoi la République doit agir et éduquer pour l’égalité femmes hommes. Cela passe par des valeurs au cœur de l’action éducative dans le système scolaire et, n’en déplaise à celles et ceux qui feignent ne pas comprendre, cela passe aussi par l’éducation à la sexualité.
Des amendements révélateurs d’une conception éculée de l’enseignement et de l’éducation…
Proposer et intégrer dans le projet de loi que les drapeaux de la France et de l’Union Européenne ainsi que l’hymne national soient affichés dans toutes les salles de classe est problématique à plus d’un titre. Inconséquent de par le coût de la mesure. Inutile ou révélateur d’une conception éculée de l’enseignement et de l’éducation. Depuis quand l’exposition à des symboles assure-t-elle la compréhension, l’intégration des valeurs et principes dont ils sont une représentation matérielle ? Quand, en plus, un des motifs de l’amendement est que ce sera l’occasion de « rappeler l’attachement de l’École aux valeurs de la République », c’est donc l’institution elle-même et ses agents que l’on soupçonne de ne pas être républicains ? C’est proprement inacceptable parce qu’insultant.
Des amendements qui défient le réel et les apports scientifiques sur les apprentissages
Des amendements, heureusement rejetés, prévoyaient d’imposer telle ou telle méthode d’enseignement, sans aucun lien avec les derniers développements des recherches scientifiques sur les processus d’apprentissage des enfants. Imaginer que c’est à la loi de décrire, pardon de prescrire dans les moindres détails, le travail des enseignant·es, c’est nier qu’elles et ils sont des professionnels.
La progressivité des apprentissages est autant une nécessité qu’un respect dû aux enfants.
Quand certain·es envisagent de décaler à l’école maternelle des apprentissages (lire et écrire) qui relèvent de classes primaires, on mesure à quel point le décalage avec la réalité des capacités cognitives selon les âges est grand. Non, la distribution des programmes selon les cycles ne se fait pas au hasard. Oui, la progressivité des apprentissages est autant une nécessité qu’un respect dû aux enfants.
Des amendements partant de bonnes intentions
D’autres amendements sont plus intéressants même s’il conviendrait de les adapter davantage.
Adapter les formulaires administratifs à toutes les situations dans lesquelles les enfants vivent aujourd’hui.
Le Sgen-CFDT, engagé dans la lutte contre toutes les discriminations, partage l’idée que les formulaires administratifs doivent être adaptés à toutes les situations dans lesquelles les enfants vivent aujourd’hui. Ainsi les mentions parent 1 et parent 2 éviteront aux familles homoparentales d’avoir à renommer les catégories administratives et à ressentir chaque année leur invisibilisation sociale. Il faut cependant élargir à la notion de responsables légaux, car certains enfants ne vivent pas avec leurs parents. C’est déjà le cas dans certains territoires, mais le généraliser est une bonne mesure.
Sur l’attention aux territoires ultra marins, ou au développement durable : oui, ce sont des questions importantes. Mais, comme pour les drapeaux, sortons d’une logique d’exposition des élèves à des affichages. Passons à une logique d’enseignement et d’éducation : quelle est la place de ces enjeux dans les programmes d’enseignement ?
Formation des enseignant·es et CPE : est-ce par la loi qu’il faut écrire les maquettes de formations universitaires ?
D’autres amendements encore proposent de préciser des contenus pour la formation initiale des enseignant·es et CPE. Les thématiques proposées sont souvent intéressantes. Cependant, est-ce par la loi qu’il faut écrire les maquettes de formations universitaires ? À quel moment s’assure-t-on que tout cela est compatible avec le temps de formation réel ? Pour le Sgen-CFDT, ces questions relèvent de la définition du cadre national de formation d’une part, et du travail des formateurs et formatrices dans les ESPE de l’autre. Enfin, plutôt que d’alourdir sans cesse la formation au point que les enseignant·es et CPE vivent difficilement leur formation initiale, il vaut mieux construire un continuum de formation pendant les années qui suivent la titularisation.
Des apports intéressants
Le projet de loi enrichi par amendements, bien que fourre-tout, comporte des éléments intéressants :
- renforcer le contrôle de la scolarité hors public et hors établissement sous contrat d’association – mais les conséquences en terme de charge de travail ne sont pas prises en compte ;
- faire inscrire des enfants par les DASEN en cas de difficulté avec les municipalités est un moyen de plus mis en œuvre par l’État pour concrétiser le droit de tout enfant à être scolarisé : c’est une mesure de progrès ;
- des amendements explicitent et renforcent des objectifs assignés à l’école pour mieux accueillir les enfants en situation de handicap, pour mieux protéger les élèves victimes de harcèlement. Cela légitimera plus encore la formation des personnels, la meilleure reconnaissance de celles et ceux qui contribuent à une école plus inclusive et attentive à tous les enfants et tous les jeunes ;
- un amendement précise utilement les objectifs de l’évaluation des élèves : « mesurer et valoriser la progression de l’acquisition des compétences et des connaissances de chaque élève » ; le problème reste la grande confusion dans le projet de loi sur les évaluations à l’école, et celles du système éducatif au ministère et ailleurs ;
- des précisions sur les engagements de l’État pour l’amélioration du service public d’éducation à Mayotte.
D’autres amendements sont attentifs aux personnels : insistant sur la place des collectifs de travail ou sur les mesures à prendre pour rendre effective la visite médicale au bénéfice des agents (avec un médecin de prévention pour plus de 11 000 agents en moyenne, la plupart n’ont de visite médicale qu’au moment de leur recrutement).
Des débats qui laissent des traces
Mais le bilan des débats sur ce projet de loi, sans colonne vertébrale comme le dit Claude Lelièvre, laissera des traces. Un discours caricatural aux accents dépréciatifs se répand, qui dénigre l’École et celles et ceux qui la font vivre au quotidien. Cela crispe et cela blesse. Qui a à y gagner ? La stratégie politicienne de quelques un·es. L’École mérite mieux que cela.
L’école mérite mieux qu’un discours caricatural qui dénigre l’École et celles et ceux qui la font vivre au quotidien.
Ces débats, ces mots ont une efficacité, des conséquences négatives qu’il eût été sage d’anticiper. Écrire un article 1 sans effet normatif, comme l’a noté le conseil d’État et comme l’a récemment rappelé Bernard Toulemonde, a déclenché des débats presque devenus prophétie auto réalisatrice : des cadres (pas tous) contrôlent, parfois même pénalisent des agents pour des écrits qui n’ont rien de répréhensible ni aujourd’hui, ni demain. Appliquant dès maintenant une obligation de réserve qui n’existe pas et n’est pas dans le projet de loi, ceux-là croient à tort que l’École devient une grande muette.
Une obligation de réserve qui n’existe pas et n’est pas dans le projet de loi…
D’autres dispositions ont un impact non négligeable sur les dépenses publiques sans que soient explicités les effets en ricochet sur d’autres missions de l’École.
Faire de l’École un terrain de jeu idéologique la fragilise, et ne permet pas à la Nation de mener le débat serein sur l’École dont les jeunes générations ont besoin.
Pour aller plus loin
- Le Sgen-CFDT, force de proposition, veut peser sur le débat législatif.
- Lisez la liminaire du Sgen-CFDT et notre compte-rendu du CTMEN du 21 février 2019
- Etablissement public des savoirs fondamentaux : une occasion manquée
- Lisez le communiqué de presse intersyndical du 19 février