« Socle », « Pacte »… Les enseignants français travaillent déjà trop !

Les enseignants français ne doivent pas travailler plus, mais moins et dans de meilleures conditions, si l’on souhaite véritablement la réussite de tous les élèves, une vraie mixité sociale et un bien-être au travail !

Les différentes réunions de concertation sur la rémunération des enseignants, entre organisations syndicales et Ministère de l’Éducation Nationale, reprises en janvier dernier, n’ont fait que mettre en évidence la totale méconnaissance et l’absence de reconnaissance du travail réel des enseignants en France  ! Il y a erreur sur la feuille de route !

Les enseignants français ne doivent pas travailler plus, mais moins et dans de meilleures conditions si l’on souhaite véritablement la réussite de tous les élèves, une vraie mixité sociale et un bien-être au travail !

Les enseignants français travaillent trop : le « socle » visible !

Ce ne sont pas les organisations syndicales qui le disent mais les publications de l’INSEE, de la DEPP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance ) et de l’OCDE (organisation de coopération et de développement économique)  : les enseignants français travaillent plus qu’une grande partie de leurs collègues européens et dans des conditions plus difficiles !

– Un gros temps d’enseignement devant élèves :

Le temps de travail des enseignants français devant élèves est plus élevé que dans de nombreux pays européens  : les professeurs des écoles français enseignent 900h/an contre 740h/an en moyenne dans les autres pays de l’UE. Au collège, les enseignants certifiés passent 720h/an devant les élèves, contre 659h/an en moyenne, dans le reste de l’Europe (pour comparaison : 641h/an en Allemagne, 608h/an en Italie.

– Des effectifs par classe records en France : Trop d’élèves pour trop peu d’enseignants

La moyenne d’élèves par classe, dans les pays de l’Union Européenne, est de 19 élèves en primaire (écoles maternelles et élémentaires) et 21 élèves dans le premier cycle d’enseignement secondaire (soit le collège). C’est en France que l’on trouve les classes les plus surchargées, avec une moyenne de 22 élèves en élémentaire (pour comparaison : 17 en Pologne, Grèce, Lettonie…) et 26 en collège (pour comparaison : 17 élèves en Lettonie…).

La France est un des pays qui compte le moins d’enseignants, hormis en lycée.

– Un salaire nettement plus bas que dans la plupart des pays développés :

D’après le rapport «Regards sur l’éducation – 2022 » de l’OCDE, les salaires statutaires des enseignants français restent nettement inférieurs à ceux de la moyenne de l’OCDE, et ceci à chaque étape de la carrière et à tous les niveaux d’enseignement. La France plafonne à la vingtième place (sur 36 pays dits développés). En milieu de carrière, les enseignants du premier cycle du secondaire (collège) touchent 16% de moins que la moyenne OCDE et 19% de moins pour les enseignants de l’école élémentaire.

En France, il faut 35 ans d’expérience pour passer du salaire de départ au salaire le plus élevé, contre 26 ans en moyenne dans les pays de l’OCDE.

Les enseignants français travaillent trop  : le « pacte »  invisible  !enseignants

Comptabiliser le temps de travail réel d’un enseignant en France a toujours été complexe, les textes réglementaires actuels ne précisant, la plupart du temps, que le temps de travail effectif devant élèves : 15h… 18h… 20h.… Mais au-delà de ces ORS (obligations réglementaires de service), il y a la part de plus en plus conséquente du travail invisible fourni par tous les enseignants !

– Le travail invisible des enseignants sur temps scolaire :

Selon la note d’information n° 22-30 de la DEPP, publiée en octobre 2022, la moitié des enseignants déclarent travailler 43h par semaine. 

Pour certains d’entre eux, le temps de travail hebdomadaire peut même atteindre 65h par semaine dans le second degré et 60h par semaine dans le premier degré.

Il est illusoire de vouloir citer tous les éléments qui composent ce fameux travail invisible, jamais chiffré, souvent sous-évalué mais devenu ingérable : recherches documentaires et actualisation des connaissances ; préparation des cours ; préparation des évaluations et corrections des copies ; accompagnement et suivi des élèves ; rencontres avec les familles ; prise en compte des besoins particuliers pour certains élèves, de plus en plus nombreux ; réunions multiples ; missions de professeur principal, de tuteur, de référent… formation continue sur temps scolaire, certes, mais qui  nécessite fréquemment un investissement sur le temps libre ; auto-formation, sur le temps personnel pour se former aux outils numériques et aux nouvelles pédagogies, etc.

Le temps scolaire s’avère souvent insuffisant d’où…

– Un temps de congés de plus en plus consacré… au travail :

En 2014, une publication de l’INSEE sur les enseignants en collège et lycée mettait en évidence que ces derniers travaillaient 18 jours pendant les vacances scolaires (sur 80 jours au total ) et une partie des week-ends.

En 2022, les enseignants travaillent 34 jours pendant leurs vacances soit plus de 42% de leur temps de congé. Pratiquement deux fois plus qu’il y a 8 ans !

Temps de congé aussi parfois réduit si les enseignants décident de participer à certains dispositifs tels l’École ouverte, les stages de réussite… afin d’augmenter leurs salaires en total décrochage depuis bon nombre d’années.

Et si on jouait à calculer ?

En sachant que le temps de travail hebdomadaire médian, pour les enseignants des 1er et second degrés, est de 43 heures, donc un total de 1548 h sur 36 semaines de cours, que les enseignants fournissent 34 jours de travail supplémentaires lors des congés scolaires. La quantité horaire journalière n’ayant pas été évaluée, nous pouvons convenir d’un plancher très bas, soyons bon prince, de 2h par jour, soit un total de 68 heures.

Nous arrivons donc à 1616 heures par an pour une grande partie des enseignants.

Pour rappel, la durée légale du travail en France est de 1607 h par an, durée s’appliquant aux enseignants comme à tous les salariés en France.

Au vu du dépassement, nous pourrions considérer alors les enseignants comme des cadres dirigeants. Dans ce cas, effectivement, il n’y a pas à respecter de durée de temps de travail, minimale ou maximale…. Cependant, pour être cadre dirigeant, il est nécessaire de cumuler trois critères dont celui d’avoir « une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l’entreprise » !! Inutile de commenter !

Si l’on rajoute le projet du ministre de l’éducation nationale qui est de prévoir, pour les enseignants, 2h de travail par semaine en plus, soit 72h sur l’année , nous atteignons donc un total de 1616h + 72 h = 1688h/an !

Nous dépassons clairement la durée légale de travail en France qui est de 1607 heures.

Pourquoi les enseignants devraient-ils travailler plus, en violation de la réglementation française ? Pourquoi doivent-ils de plus en plus travailler sur leur temps de vacances ? Sont-ils si peu productifs ou la masse de travail quotidienne devient-elle ingérable ? … Pourquoi les enseignants doivent-ils travailler encore plus pour avoir une augmentation de leur salaire ? Incompréhensible et indéfendable !

Du temps et des moyens pour travailler mieux et bien : Tout est affaire de choix !

Revaloriser la rémunération des personnels enseignants, CPE et psyen en prévoyant une augmentation du temps de travail n’est donc pas défendable !

Travailler encore plus pour simplement obtenir un enseignantssalaire décent est, de plus, à contre-courant de la dynamique actuelle de recherche du bien-être, de l’épanouissement personnel et professionnel, de la réflexion portée sur le travail, le sens et la place que l’on doit donner à ce dernier tout au long d’une vie.

Mais surtout, permettre la réussite de tous les élèves,  lutter contre le séparatisme social, apprendre à vivre ensemble et à construire ensemble est aujourd’hui  impossible tant que l’École en France restera ce qu’elle est !

Quelle école voulons-nous ?

Une école inchangée… laisser faire et renforcer l’élitisme de notre École ? Les propos du ministre de l’éducation nationale, pour qui « la mixité sociale est une condition de réussite des élèves », seraient alors en totale contradiction avec le maintien de ce type d’École.

Ou alors engager des actes forts et décisifs  :

Donner du temps aux enseignants pour mener à bien leurs missions, pour collaborer entre collègues, suivre et accompagner les élèves, retrouver confiance et estime de soi, redonner du sens à leur travail. Il est nécessaire de comptabiliser le temps de travail réel des enseignants et de l’introduire dans la réglementation, comme cela se fait dans certains pays (en Allemagne, le temps de travail total des enseignants fonctionnaires est régi par les règlements de la fonction publique des länder soit entre 40h/41h par semaine, selon le land).

Augmenter les salaires des enseignants. Si aujourd’hui, l’État ne veut pas payer décemment tous ses enseignants pour le travail fait, qu’il en explique les raisons profondes. Investir dans l’éducation reste une priorité pour tout pays et cela ne se négocie pas !

Alléger drastiquement les effectifs de classe. Suivi individualisé, prise en charge des élèves à besoins particuliers, pédagogie active et utilisation des outils numériques ne peuvent se mettre en place qu’avec des effectifs allégés. C’est une évidence !

Alléger drastiquement les programmes scolaires, infaisables pour la plupart, et qui frisent le non-sens, le bourrage de crâne !

Dans la préface de la publication de la DEPP, « L’Europe de l’éducation en chiffres », fin 2022, le ministre de l’éducation nationale déclare que cette synthèse est « une base précieuse pour les analyses et les décisions nationales »…. Alors qu’attend-on pour s’en servir et décider un changement radical ?

Tout est affaire de choix, un choix politique, sociétal, qui doit être pleinement assumé.

Pour aller plus loin