L’école de la confiance… ou de la défiance ? (communiqué)

Nous, militants et militantes de mouvements d'éducation nouvelle, d'éducation populaire, syndicaux, enseignants et enseignantes du Bas-Rhin, parents d'élèves, formateurs et formatrices, souhaitons prendre position sur les réformes en cours qui affectent le quotidien de l'école.

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Pourquoi Blanquer a transformé  l’école de la confiance en celle de la défiance ?

Ces réformes vont à l’encontre des besoins que nous identifions dans les classes. Nous sommes attaché.es à construire les conditions qui favorisent la réussite et le bien être des élèves pour réduire la reproduction des inégalités. Nos compétences et notre expertise nous permettent de dire précisément en quoi les orientations actuelles ne résoudront en rien les inégalités mais au contraire aggraveront la situation dans les écoles.

Un Conseil Scientifique partial

Nous dénonçons la création du Conseil Scientifique de l’Éducation nationale en janvier 2018.

Nous dénonçons la création du Conseil Scientifique de l’Éducation nationale en janvier 2018. Alors même que l’indépendance des pouvoirs publics nous paraît constitutif de la défense de l’intérêt général notamment celui de l’Éducation, ses membres sont nommés par le ministre. De plus, il est majoritairement constitué de personnalités issues des sciences cognitives. Nous pensons que l’ensemble de la recherche doit y être représentée. De nombreux chercheurs et chercheuses en sciences de l’éducation aux compétences reconnues et sollicité.es habituellement pour étayer les politiques publiques d’Éducation ont été mis à l’écart. Pour quelles raisons ?

Des réajustements de programmes inquiétants

Nous nous inquiétons des « réajustements » des nouveaux programmes de la rentrée 2018.

L’application de nouveaux programmes demande beaucoup d’énergie et de temps pour les
équipes de circonscription et les équipes enseignantes afin d’accompagner au mieux les
nouvelles orientations. Aujourd’hui, nous avons le sentiment de n’être que des exécutants et des
exécutantes devant appliquer de nouvelles directives complètement éloignées de notre culture
professionnelle.

Les réformes sont imposées à un rythme si soutenu qu’il est impossible de se les
approprier correctement. Les programmes ne sont plus les outils de références des enseignants
qui ont perdu la confiance dans leur institution. Comment s’y retrouver dans notre métier et les
outils qui nous paraissent pertinents quand les orientations changent aussi radicalement et
rapidement ? Il ne suffit pas de proposer de nouveaux textes de références pour changer les
pratiques enseignantes.

petit livre orangeLe petit livre orange pour mettre au pas les maîtres-ses

Puis est venu le guide orange présenté comme le B-A-BA de la réussite des élèves de CP en lecture. Ce guide demande (exige?) d’aborder la lecture de manière très mécanique et laisse peu de place à la liberté pédagogique. En invoquant les sciences comme argument ultime de
l’efficacité de cette approche, on oublie de préciser que la seule science revendiquée relève des sciences cognitives, celle du Conseil Scientifique de l’Éducation nationale.

La logique d’enseignement de la lecture consiste à promouvoir la maîtrise du code et de la fluence comme un préalable nécessaire à la compréhension. L’imposition, dans certaines académies, de cette approche prônée par l’association « Agir pour l’École » a d’ailleurs été critiquée par des syndicats pour sa conduite expérimentale très contrainte au sein des écoles participantes. L’expérimentation ne laisse aucune place à la liberté pédagogique et les enseignants et les enseignantes sont dépossédé.es de leur expertise et parfois stigmatisé.es lorsque le protocole ne fonctionne pas comme souhaité.

En occultant le travail sur le plaisir de lire et d’écrire, la construction du sens et l’émancipation qui en découlent, l’enseignement de la langue proposé ne permettra pas de réduire les inégalités comme supposé, mais au contraire les accentuera.

Nous savons que l’enseignement de la lecture et de l’écriture relèvent avant tout d’apprentissages culturels même si les enseignants et les enseignantes n’ont jamais cessé d’enseigner par ailleurs les codes de notre langue. Il est dangereux de ne favoriser exclusivement qu’une dimension de cet apprentissage. C’est d’ailleurs ce que confirme un rapport de l’Inspection Générale des services sur les expérimentations
menées par « Agir pour l’école ».

Avec le guide orange, l’objectif du ministère est bien d’imposer une méthode d’apprentissage de la ecture. Sans contraindre ouvertement les enseignants et les enseignantes, il met en place un  encadrement serré des équipes dans les écoles. Les réseaux d’éducation prioritaires sont  particulièrement ciblés par des visites de contrôle des équipes de circonscription. Mais ce ne sont pas les seuls. Les collègues, qui n’utilisaient pas exclusivement le guide orange, se sentent à termes obligé.es de le faire, compte tenu de la multiplication des visites. Ils et elles se sentent dépossédé.es de leur expertise et ont le sentiment de devoir obéir aveuglément.

 

La grande mascarade des évaluations

évaluations Blanquer

 

La grande mascarade des évaluations affichées comme « scientifiques et complètes » qui permettraient de construire « des points de repères plus sûrs » n’ont plus rien de scientifiques tant les conditions de passation ont été aménagées. Les enseignants et enseignantes cherchent avant tout en début d’année à accueillir les CP de manière à ce qu’ils se sentent bien dans leur nouvelle école, objet de tant d’attentions familiales. Comment accepter de les mettre en échecs répétés, face à des items d’évaluations mal conçues ?

Au-delà des questionnements que ces évaluations ont suscités chez les enseignants et les enseignantes, plusieurs chercheurs et chercheuses ont montré en quoi elles n’étaient absolument pas adaptées. Comment croire qu’elles ont été proposées pour être des outils pour les enseignants et les enseignantes alors même que ces dernier.ère.s évaluaient déjà leurs élèves dans les classes ? Alors que les résultats déplorables ont été présentés en avant-première à la presse ?

Soyons certains que les remédiations proposées par le Conseil Scientifique répondront exactement aux besoins identifiés par ces évaluations. Comment peut-on concevoir une telle façon d’aborder l’enseignement ? Nos élèves évoluent dans une classe parmi des pairs, ont des familles différentes, chacun avec des profils singuliers. Comment concevoir que l’on puisse résoudre les difficultés de tous les élèves ayant échoué à l’item n°5 avec les mêmes remédiations ? Si ces évaluations et ces remédiations ne permettront pas de faire progresser nos élèves et de lutter contre les inégalités, une chose est pour le moins certaine : elles permettront de distribuer des primes aux enseignants et enseignantes les plus méritant.es en fonction des résultats de leurs élèves. En Rep+, une part des primes sera distribuée de manière variable. De plus, quand elles seront rendues publiques, ces évaluations permettront également de mettre en concurrence les membres des équipes enseignantes entre eux et les écoles entre elles.

Le programme a été soigneusement anticipé puisque les évaluations nationales sont hébergées par Amazon. Les données sur les élèves, les écoles et a fortiori les enseignants et enseignantes y sont enregistrées et disponibles à tout moment. Qu’en est-il de l’anonymat des évaluations, des données ?

La fin du CNESCO

Pour remettre en question ce système, on pourrait penser que le CNESCO, unanimement reconnu pour ses travaux, mettrait à profit sa contribution. Mais le ministre en a  décidé autrement en fondant un nouveau conseil de l’évaluation avec une majorité de personnes nommées par lui directement. Plus personne ne pourra remettre en question, de façon indépendante, notre système éducatif national. Il faudra s’en remettre aux évaluations internationales.